Contes d'Essonne 3 - En attendant godet

Publié le par V.Vlan

bar pmuLe bar s'appelle « Le Village ». Le seul de Limours avec celui de la route de Chartres. Il se trouve sur la place centrale au centre historique de la bourgade, planqué derrière la mairie comme s'il avait honte (en aparté, la mairie est comme la blue box du docteur Who : ça paraît plus grand à l'intérieur). C'est un bar PMU comme sont les bars PMU, avec des tables rondes en formica et des chaises au dossier ajouré, le zinc tourné vers l'écran seize neuvième branché sur Equidia. Le rendez-vous avait été fixé à onze heures c'était le plus tôt qu'on pouvait. A moins une je sens ma poche vibrer c'est un sms. Elle sera en retard, des correspondances qui s'enchaînent mal. A vol d'oiseau c'est à quarante kilomètres. Évidemment elle doit d'abord remonter sur Paris, presque jusqu'à Châtelet, pour redescendre ensuite en prenant le B. Il lui faut presque une heure et demie vous pouvez calculer la moyenne, et je vous épargne le tarif RATP. Moi je me prends à imaginer une ligne directe entre Maisons-Alfort et Limours, un monorail aérien tout en béton dont l'équipe à moitié mystique de Bertin aurait encouragé le taguage. Je calcule. Quarante kilomètres, 300 km/h de moyenne, elle serait là en dix minutes. De quoi patienter sereinement en attendant la téléportation quantique. Évidemment ce serait pas rentable comme ligne et elle n'aurait jamais existé de toute façon. J'ai gagné dix minutes. On s'emmerde un peu dans ce bar. J'ai commandé une pression, c'est de la seize, faut dire ce qui est c'est quand même un peu de la pisse. J'ai même pas déjeuné ça fait pas une heure que je suis levé. J'ai juste avalé deux cafés avant de partir parce que la journée devrait être longue. Ce matin il n'y a pas le marché sur la place. Il fait froid et gris c'est morne comme un village des Ardennes. Ça pourrait avoir son charme mais en février le temps est trop vache. Il fait si froid que le reste ne compte plus. J'ai gardé le manteau à chaque fois que la porte s'ouvre c'est un vent de Bruges qui s'engouffre. Mes vieilles Creeks ne supportent pas le vent d'autant plus qu'elles sont déchirées au mauvais endroit, j'ai l'impression d'avoir deux orteils à l'air libre. Le serveur me sert encore du « jeune homme » c'est juste ce qu'il fallait pour m'irriter. Sans raison je passe en mode ronchonchon. Je me rencogne contre le mur, mon visage se ferme au-dessus du verre. D'habitude c'est quand j'ai les pieds mouillés ou que j'ai faim, mais là c'est plutôt inexplicable, à croire que j'ai VRAIMENT un mauvais caractère. Pour me détendre je commande une Leffe. Elle va un peu m'attaquer mais c'est ce qu'il me faut pour me réchauffer. Ma poche vibre de nouveau Aurélie est dans le bus, elle sera là dans un quart d'heure. On sera dans les temps pour aller manger au sabot rouge, le resto trois couverts de Limours. C'est un resto qui aurait pu se retrouver dans un roman de Siniac, avec sa clientèle collet-monté et son menu compliqué. Une atmosphère qui colle mal à mes Creeks crevées mais qui flatte mon palais.

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