Contes d'Essonne 4 - Le sabot rouge

Publié le par V.Vlan


1.Du béton dans les champs
2.L'animal chimérique
3.En attendant godet

 

 

aerotrain3La devanture évoque plutôt l'idée du pub irlandais. L'encadrement de bois vert-Irlande et les rideaux blanc opaque qui voilent la porte et les fenêtres n'engagent pas vraiment à s'y aventurer comme s'ils portaient un message à destination du profane : ici on est entre habitués, ici on est entre gens distingués. On s'attend presque à ce qu'on nous demande un mot de passe à l'entrée. Au-dessus de la porte « Le Sabot Rouge » s'écrit au néon rouge (le choix d'une autre couleur aurait paru déplacé) en lettres fines et curvilignes évoquant les écritures à la crème pâtissière dessinées sur les gâteaux messagers qu'on veut faire parler. Le tout est sans grande pompe, d'une élégante discrétion.

L'accueil est en accord avec ces codes extérieurs : le sourire est chaleureux juste ce qu'il faut, sans excès. Le patron derrière le comptoir s'est affublé d'une sorte de veste mao qui paraît-il est à la mode chez les chefs. Ça reste sobre mais ça donne une idée de ses ambitions culinaires (pas en référence avec le style mao ou japonisant ou chinoisant, poulet croustillant à la sauce piquante et autres sushis/sashimis ne sont pas inscrits au menu, ici c'est cuisine « traditionnelle » comme on dit). C'est un normand qui a gardé un peu de son teint provincial (peut-être a-t-il consenti à s'échouer ici en raison de l'orientation ouest qui facilite les allers-retours vers les plages normandes ?), sans exubérance et sans surpoids, tout comme madame la patronne qui se charge du service. Dans la salle c'est plutôt glacial : un seul couple attablé, la neige qui n'en finit plus de tomber cette année doit y être pour quelque chose. Ça fait ambiance bibliothèque, on se sent obligé de chuchoter pour discuter.

Le couple est presque une caricature. Le type doit approcher la cinquantaine, cadre dirigeant dans une boîte du coin, il trimballe sa potiche dans sa berline de chez Renault. Il parle fort comme si chacun devait pouvoir profiter de son verbe très supérieur (il devait être agacé de n'avoir aucun auditoire) et sa femme enfourrée joue avec ou sans composition son rôle d'idiote soumise en prenant bien soin de ne jamais le contredire. Il fait bien sentir qu'il est un habitué, qu'ici c'est pour lui comme une cantine. Sa façon de se tenir, ses gestes, sa diction vous crient hargneux : j'ai réussi ma vie. Aurélie et moi on rigole un coup avec nos allures de traîne-savates. « Vous souhaitez un apéritif ? » On souhaite, on a tout le temps, on bossera quand il faudra. Porto-Martini, on trinque tchin-tchin, les amuse-bouches sont déjà des plats.

aerotrain4Dehors la rue du couvent est déserte. Des congères molles striées par les dessins des pneus des voitures agonisent sur la chaussée. Les trottoirs glissent. Les rares passants marchent engoncés dans leurs manteaux que le vent leur colle au corps. Ils me donneraient presque froid si le Madiran ne faisait pas déjà chanter mes artères. Entre l'entrée et le plat on se dit que (putain) on a rudement bien fait de pas aller à la pizzeria alors qu'une famille de classe supérieurement moyenne et un couple plus modeste âgé d'un siècle en tout viennent garnir l'auditoire potentiel du cadre sup' placés à deux tables dans le fond de la salle. Moi je continue de bassiner Aurélie avec mon histoire d'aérotrain. Je la soupçonne de s'en foutre grave mais on est contents d'être ensemble. Elle n'est pas venue pour des bouts de béton semés dans les bois c'est sûr. Et encore je ne sais même pas ce qu'on trouvera là-haut. Babas (au rhum), deux cafés siouplé, on s'est tellement pas pressés qu'on se retrouve les derniers. Sauf un type qui vient montrer des devis à propos d'installations électriques ou quelque chose du genre. Il est temps de se lever. Une petite boule me serre l'estomac juste comme les images de YouTube m'apparaissent en flash au moment où le patron me rend ma carte bleue. « Merci à vous. Bonne journée m'sieur-dames ».

Publié dans Journal

Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :
Commenter cet article
Z
<br /> "Mon" Mystérieux Fou,<br /> <br /> Je pense partir définitivement, un demain.<br /> Je tiens à te dire que je garde un peu de toi quelque part en moi, en dépit de tout, de rien... Et merci aussi, pour ces envolées nocturnes dans lesquelles tu as su m'emporter. J'ai aimé ça et ce<br /> Toi.<br /> <br /> Dans la lune, le reflet de mes yeux.<br /> <br /> Z.<br /> <br /> <br />
Répondre