Contes d'Essonne 1 - Du béton dans les champs

Publié le par V.Vlan

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Je venais d'arriver dans la région, jeune et fauché je me rendais tous les jours en bus au travail. C'était pas la région parisienne qu'on s'imagine de province. Cette Essonne-là c'est la Beauce qui s'effiloche avant de laisser place sans transition aux zones sur-urbanisés de la petite couronne, avec des champs à perte de vue, de blé ou de colza au printemps. La route était une route champêtre, tracée au milieu des terres cultivées et bordée de gros arbres et de peupliers. Les ralentissements et les bouchons où le bus s'engluait parfois étaient créés par les agriculteurs qui se rendaient aux champs en tracteur. La départementale était régulièrement encrottée et lorsque la brume la recouvrait au petit matin on ne savait plus bien si Paris était réellement à trente kilomètres et si le phare aperçu la veille au soir était bien celui de la tour Eiffel.

Le bus, ou plutôt le car, était de ceux utilisés dans les voyages organisés pour les séniors. Certains matins on se croyait partis pour une excursion à Walibi ou je ne sais où. La majorité des passagers étaient des collégiens et lycéens bruyants heureux de vivre. On ne savait pas dans quelle zone RATP on naviguait, entre la 5 et la 6, peut-être la 7. Peut-être aussi que la RATP se fichait bien de ce coin paumé qui avait été jadis desservi par deux lignes de chemin de fer, toutes les deux aujourd'hui démantelées après une brève exploitation d'avant-grande guerre. Sur le trajet l'horizon n'était coupé que par le clocher massif de l'église de gometz d'abord, puis par les tours de béton des Ulis qui s'alignaient harmonieusement comme sur un poster de New York. Sinon, c'était des champs, du blé et de l'herbe, des bois et quelques fermes. Et les tracteurs qui patiemment s'éloignaient vers l'horizon comme des chalutiers qui prennent le large.

 

aerotrain2D'abord il y avait eu la création du rond-point à l'endroit où le tunnel de déviation de Gometz, dont la construction était en train de s'achever, démarrait. Lorsque le tunnel fut terminé et ouvert à la circulation mon ascension sociale m'avait offert une voiture presque neuve, et c'était maintenant au ras du sol et seul que je parcourais le chemin du boulot. Le tunnel était lui flambant neuf et ses lumières oranges toutes belles, avec les énormes turbines qui filaient au-dessus de la tête, me donnaient l'impression d'entrer tous les matins dans un film de science-fiction des années soixante-dix. A la sortie du tunnel, il y avait le jour aveuglant bien sûr, mais aussi un autre grand rond-point dont le centre était encore en friche, et il n'était pas rare d'y voir courir des lapins de garenne un peu déboussolés. Il n'avait pas encore été aménagé, et d'ailleurs lorsqu'il le fut je ne le remarquai pas tellement ce grand bout de béton, qui ressemblait à une rigole et qu'on avait posé là au milieu comme par mégarde, donnait une impression de pas-fini, de site en construction. Ce n'est que des années plus tard que j'ai compris ce que ce rond-point de l'ingénieur Bertin qui ne ressemblait à rien avait de grandiose et d'historique et même, j'ose, d'émouvant.

Quelques mois après, sur le premier rond-point avait poussé... disons un objet surréaliste, une sorte de wagon-avion volant en aluminium perché à quelques mètres au-dessus du sol. Vraiment je me demandais ce que ça pouvait représenter, et qu'est-ce que ce truc futuriste faisait planté là au milieu des champs. Il se foutait bien de la route et regardait dieu sait quoi à l'horizon, comme rêveur. Un drôle d'animal à dire vrai, avec une queue terminée par des réacteurs ou des canons destructeurs, ou les pots d'échappement de la batmobile. Il y avait aussi poussé un panneau qui indiquait que l'objet en question était en réalité une sculpture d'un certain Georges Saulterre sans préciser s'il avait sévi sur ordre ou sur un accès de prescience mystique. Trois tours de rond-point plus tard j'étais toujours aussi perplexe et je reprenais le chemin de la maison, celui-là-même vers lequel le museau du machin était pointé.

 

C'est tout récemment que je suis tombé par hasard sur l'histoire de l'aérotrain. Je sais pas si c'est un truc connu mais mon correcteur de texte paraît au courant de l'affaire comme pour me mettre la honte. Au début ça m'a plutôt évoqué les aéroglisseurs, un truc d'avant-guerre un peu chiant, inventé par exemple par les allemands ou peut-être les anglais, je sais pas, mais un truc qui a pas marché et qui devait être nase et inutile, enfin peut-être pas à l'époque. En tout cas un truc lointain technologiquement dépassé, comme les zeppelins, pas mieux.

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